LA MUTATION DES HABITUDES DE LECTURE
Mémoire de fin d'études
Avec l'avènement d'Internet et des technologies mobiles, le modèle des médias traditionnels vole en éclats. Rien n'est épargné par la banalisation du numérique dans nos habitudes culturelles et nos comportements, pas même le livre. Ainsi le monde de l'édition se voit bousculé par ces envies de dématérialisation qui créent de nouvelles perspectives pour les acteurs de la chaîne du livre. On parle alors de rupture numérique. Les moyens de production et de diffusion évoluent et de nouveaux modes d’usage et de consommation du livre se développent. Cela constitue un dilemme pour les entreprises: investir et risquer d'être en avance sur les attentes des lecteurs, ou alors attendre et risquer de se faire distancer par la concurrence. Pour autant il n’y a pas tellement de pratique émergente qui se dégage. C'est alors l'occasion pour les designers d'entrer en jeu et de proposer de nouvelles expériences de lecture. Le numérique ouvre le champ des possibles et le modèle de demain reste à inventer.
Je vais argumenter de la place du design et du designer dans mon sujet qui porte sur la mutation des habitudes de lecture. Aussi, il ne s’agira pas seulement de souligner les différences entre les supports de lecture imprimés et numériques mais bien de réussir à créer un pont entre ces médias et les acteurs impliqués, dans le but de transformer l'expérience de lecture. En gardant à l'esprit que le numérique reste un outil au service de l'utilisateur, je me demanderais alors comment le numérique influence-t-il les habitudes de lecture ?
D'après le portail du CNRTL (Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales), la lecture se traduit comme «l'action de lire, de déchiffrer visuellement des signes graphiques qui traduisent le langage oral».1 Au premier abord, la lecture semble être un acte spontané. Il suffit de regarder un mot pour que sans aucun effort apparent, on accède à sa prononciation et à son sens. Or, nous verrons dans une première partie toute la complexité des mécanismes qui sont nécessaires au déchiffrage des mots. Dans un second temps, j'aborderai les supports de la lecture et l'influence qu'ils opèrent sur notre manière de lire. Puis, nous verrons ce qui est à la disposition des designers pour transformer la lecture. Enfin, pour cerner et appréhender les enjeux de la lecture numérique, il me paraît primordial de s'attarder sur l'univers économique du livre et les acteurs qui le composent.
Ce mémoire s'inscrit dans le cadre de mon master Information Design à L'Ecole de Design de Nantes. Il prépare le terrain pour mon projet de fin d'études portant sur la mutation des habitudes de lecture.
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1. Portail CNRTL, CNRS, Lexicographie du mot « lecture », www.cnrtl.fr
Au fin fond de notre cerveau
Notre cerveau, ses 86 milliards de neurones et ses axones mesurant parfois plus d'un mètre de longueur, est, sans surprise, l'objet le plus complexe de l'univers.2 Il renferme encore de nombreux mystères mais les recherches ont déjà permis de révéler des liens existant entre ses différentes régions.
Les neurosciences cognitives sont l'un des domaines les plus actifs de la biologie contemporaine. A la frontière entre la neurobiologie et la psychologie cognitive, elles désignent les recherches autour des mécanismes neuro-biologiques de la cognition comme la perception, la motricité, le langage, la mémoire, le raisonnement, les émotions et la lecture. Tant de valeurs intrinsèques à l'usager qu'un designer doit prendre en compte dans ses projets.
Les avancées majeures dans la connaissance de notre cerveau ont permis, dans les deux dernières décennies, de développer une véritable science de la lecture. Ainsi, les premières découvertes concernant des potentiels mécanismes neuronaux qui régissent l'acte de lire datent de la fin du 19ème siècle. Le docteur français Joseph-Jules DEJERINE fut un des premiers à penser qu'il existe dans le cerveau des régions spécialisées dans la lecture. Depuis, l'IRM (Imagerie par Résonance Magnétique) cérébrale qui permet en quelques minutes de représenter des régions cérébrales en activité, a ouvert le champ des possibles pour expérimenter autour de la lecture. Une expérience classique consiste à stimuler une personne avec des lettres et des mots écrits pour parallèlement recueillir les informations d'activités de son cerveau (c'est le degré d'oxygénation du sang qui détermine l'activité d'une région) et les représenter en 3D. De cette manière, le rôle essentiel de l'hémisphère gauche de notre cerveau dans le déchiffrage des mots a été confirmé. Notons que peu importe notre langue natale, que nous ayons appris à lire le français, l'hébreu ou le chinois, les régions du cerveau impliquées dans la lecture restent les mêmes.
Il apparaît que lorsque nous lisons, plusieurs régions sont connectées entres elles pour participer ainsi au bon transit de l'information textuelle de l'aire visuelle vers l'aire du langage. Les réseaux neuronaux manipulent l'information, c'est-à-dire le mot, dans les différentes régions de l'hémisphère gauche qui est divisé en 4 lobes : temporal, occipital, pariétal et frontal (voir schéma 1), à commencer par l'analyse visuelle de l'identité du mot dans le cortex occipito-temporal. Dans un entretien sur France Inter avec François Busnel3, Stanislas DEHAENE, célèbre expert en psychologie cognitive, professeur au collège de France et membre de l'Académie des sciences, expliquait que cette région est stratégique. En effet, elle distribue l'information visuelle dans le reste de l'hémisphère et plus particulièrement dans les zones temporales inférieures et supérieures, respectivement impliquées dans l'accès au sens et l'accès à l'articulation et la prononciation. Mais pour passer du mot écrit vers la production orale, il y a plusieurs chemins possibles dans notre cerveau.
Suivons les voies de la lecture.
De nombreux modèles de lecture suggèrent qu'il règne dans notre cerveau, deux voies de traitement possible de l'information. Ces voies sont parallèles, elles coexistent et se complètent afin d’interpréter un mot écrit, son sens, puis sa prononciation. Si nous connaissons le mot que nous sommes en train de lire, ou s'il nous était jusqu'alors inconnu, son cheminement dans notre cerveau sera différent
Si nous lisons un mot que nous connaissons, après l'étape commune de déchiffrage visuel et de décomposition du mot, la voie est on ne peut plus directe, les graphèmes extraits par le système visuel sont alors convertis en phonèmes, pour arriver à la production de parole. En revanche, si nous lisons un mot inconnu, après l'étape commune de déchiffrage visuel et de décomposition du mot, la voie est plus complexe que précédemment. Les neuro-mécanismes tentent en plus d’accéder à différents lexiques: le lexique orthographique pour reconnaître premièrement l'orthographe, le lexique sémantique pour accéder au sens et enfin le lexique phonologique pour trouver une prononciation possible du mot (voir schéma 2).
Afin de mieux comprendre le fonctionnement de ces différents lexiques, Stanislas DEHAENE dans Les Neurones de la Lecture4, ouvrage de référence sur les sciences de la lecture, les compare à «une bibliothèque en plusieurs volumes, depuis le guide de l'orthographe jusqu'au manuel de prononciation et au grand dictionnaire encyclopédique». Notre cerveau, en fonction de ses besoins ou de son expérience choisirait, ou non, de les consulter. Après plusieurs années d'apprentissage et de pratique, pour un adulte donc, les deux voies de la lecture s'unissent pour donner l'apparence d'un système de lecture unique et assimilé. Le lecteur oublie ainsi l'existence de cette architecture complexe et c'est inconsciemment, en l'espace d'un cinquième de seconde, qu'il peut déchiffrer un mot.
Notre œil, un capteur imparfait.
Revenons à présent sur un autre organe au centre de la lecture, l'œil. Tout commence dans la rétine sur laquelle vient se projeter, sous forme de lumière, le mot écrit sur la page. Mais la fovéa, petite dépression au centre de la rétine mesurant à peine 1,5 mm de diamètre, est l'unique partie de l'œil réellement utile à la lecture. Grâce à son grand nombre de photo-récepteurs ultra-sensibles, les cônes, elle seule est assez précise pour reconnaître les lettres et les différencier (voir schéma 3).
Notre système visuel extrait progressivement le contenu des mots en décomposant sa construction en différents niveaux d'analyse. En bas de l'échelle, est d'abord représentée la lettre, puis la paire de lettres (aussi appelée bigramme), le graphème, ensuite la syllabe, le morphème (qui regroupe les préfixes, les racines et les suffixes) et enfin le mot. On obtient alors un genre d'arborescence des composants élémentaires du mot (voir schéma 4). Comme nous en parlions dans le sous chapitre précèdent, le déchiffrage visuel et la décomposition du mot seront utilisés comme première étape par le cerveau pour accéder aux différentes voies de la lecture.
Quand nous lisons, nous pensons voir le mot, ou même la page dans son ensemble. Cependant, à cause de la finesse de la fovéa, l'oeil ne discerne que quelques lettres à la fois, c'est l'empan de perception visuelle. Il n'englobe qu'une dizaine de caractères, voire plus pour les lecteurs les plus expérimentés. Le pourtour de ces lettres est plongé dans un flou progressif, c'est la cécité périphérique (voir image 5). Voilà pourquoi, nous pouvons qualifier l'œil de capteur imparfait. Ce flou représente l'approximation croissante de notre vue à mesure que l'on s'éloigne de la fovéa, et cela, peu importe la taille des caractères. C'est pour cette raison que nous sommes contraints de déplacer sans cesse notre regard sur la page, tel un scanner, afin d’amener les mots au centre de la rétine. Notre lecture se résume alors à un enchaînement d'extraits du texte, qui est parcouru presque mot à mot.
Pour le lecteur expert qui possède une réelle maîtrise du regard, l'œil progresse rapidement dans ce déchiffrage visuel. Les mots les plus courts comme les pronoms ou les articles sont parfois sautés car en s'appuyant sur les connaissances statistiques du cerveau, ils peuvent être anticipés ou reconnus par la vision périphérique. Le lecteur s'oriente alors directement vers le centre des mots importants; cela suffit pour les reconnaître, saisir leur sens et anticiper les suivants.
Pour l'apprenti lecteur la lecture est plus lente, il doit fixer chaque mot, chaque syllabe, chaque lettre, et l'oeil revient parfois en arrière. Pour déchiffrer le mot, le cerveau fait appel aux lexiques des voies de la lecture. Le lecteur pourra alors se remémorer les sons correspondant aux lettres qu'il voit. Et au prix d'un grand effort, reconstituer le sens des mots. Avec la pratique, la lecture s'automatise, elle devient fluide et rapide. Le lecteur peut alors concentrer son attention sur la compréhension du contenu.
Records de vitesse.
L'anatomie de notre œil impose à la lecture des contraintes qui nous obligent à parcourir la page de manière saccadée. Ces micro-mouvements, presque imperceptibles, sont appelés saccades oculaires. Nous en effectuons en moyenne quatre ou cinq par seconde. Et nous ne parvenons à identifier qu'un mot ou deux à chaque fixation de notre regard (voir schéma 6). Les saccades oculaires limitent notre vitesse de lecture. Même avec de l'entraînement, les dispositions «par défaut» de notre capteur visuel rendent peu probable le fait de lire plus de 500 mots par minute, qui est la vitesse optimale d'un bon lecteur.
Toujours dans Les neurones de la Lecture5, Stanislas DEHAENE montre que si on élimine la nécessité de bouger les yeux, en affichant les mots les uns après les autres, au point précis ou se fixe le regard, un lecteur peut atteindre des vitesses de lecture impressionnantes allant de 1100 à 1600 mots par minute. Cette méthode de lecture de «présentation séquentielle visuelle rapide» est trois à quatre fois plus rapide que la lecture dite «classique». L'identification et la compréhension reste satisfaisante, si bien qu'on pourrait se demander si cette pratique informatisée représente l'avenir de la lecture sur écran?
La start-up Spritz6 propose cette technologie de lecture séquentielle pour accélérer radicalement notre vitesse de lecture. D'après un article de l'édition américaine du HuffingtonPost7, avec ce système réglé sur 1000 mots par minute, il ne faudrait que 77 minutes pour lire les 310 pages du premier volume d'Harry Potter. Comme l'explique la start-up, sa particularité, par rapport à d'autres services similaires (tels que Velocity8 ou Readline9), consiste à présenter des mots d'une manière plus appropriée, non pas au centre du mot mais sur le point de reconnaissance optimale, situé a gauche du centre du mot. De plus, Spritz propose sa technologie sous forme d'API (interface de programmation), permettant à des tiers de l'utiliser pour l'intégrer à leurs équipements.
Le cerveau humain n'a pas toujours été fait pour la lecture. Pendant des millénaires, il s'est optimisé pour évoluer avec les pratiques culturelles, telle que la lecture. Au fil des siècles, il a lu sur de nombreux supports composés de matériaux divers, pour finalement s'habituer à lire sur du papier. Et aujourd'hui, ses connexions neuronales tendent encore à évoluer avec la lecture sur écran.
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2. C3RV34U, L’Expo Neuroludique, sous la direction de Stanislas DEHAENE, cat. Exp., Paris, Cité des Sciences et de l’Industrie, 2014.
3. François BUSNEL sur France Inter, Le grand entretien: Stanislas Dehaene, 22 février 2012, www.franceinter.fr
4. Stanislas DEHAENE, Les neurones de la lecture, éditions Odile Jacob, août 2007.
5. Stanislas DEHAENE, op. cit.
6. Startup Spritz, www.spritzinc.com
7. Alexis KLEINMAN, You Could Soon Read An Entire Harry Potter Book In Under 90 Minutes With This App., www.huffingtonpost.com, consulté en Novembre 2014.
8. Velocity, iOS Speed Reading App, www.velocityapp.com
9. Extension Google Chrome Readline, https://chrome.google.com/webstore
Historique.
Les supports de la lecture sont aussi ceux de l'écriture. Dans l'histoire, ces deux inventions ont évolué conjointement. Il me semblait important d'établir ici une liste non exhaustive, et quelque peu scolaire, de quelques uns de ces supports qui ont eu un rôle clé dans l'établissement de la lecture telle qu'on la connaît aujourd'hui.
Dans l'Antiquité (de -3300 av. J.-C. à 476), les premiers supports étaient éphémères. Tissus, os ou encore pierres, un rien pouvait en faire office. Nicholas CARR dans son ouvrage Internet rend-il bête?10 nous expose un intéressant historique de la page. Il y dit, en parlant de ces support éphémères: «Personne n'aurait eu l'idée de confier une pensée profonde ou une longue discussion à un caillou ou à un tesson de poterie». Ils ne servaient qu'à consigner quelques courtes notes à l'instar de notre bon vieux Post-it.
Les Sumériens, peuplant la Mésopotamie, furent les premiers à conserver des écrits plus longs, tels que des archives, des accords commerciaux, des lois ou des écrits religieux et historiques. Pour cela, ils modelaient des blocs en argile, où ils écrivaient ensuite leurs caractères cunéiformes avec un roseau aiguisé. Seuls les scribes et les initiés en possédaient le privilège. Une fois la tablette gravée, ils la laissaient sécher au soleil. Ils prirent l'habitude de numéroter leurs tablettes, créant ainsi des « pages » d'argile et la pagination. Malgré des inconvénients de stockage et de transport, les tablettes d'argiles restèrent un support de prédilection pendant plusieurs siècles.
Vers 2500 av. J.C., les Egyptiens découvrirent le rouleau de papyrus. Léger, facile à transporter et à stocker, il fut plus tard adopté par les Grecs et les Romains. Les feuilles étaient fabriquées à partir des plants de papyrus qui poussaient en abondance dans le delta du Nil. Les Egyptiens tissaient et travaillaient les fibres jusqu'à obtenir une surface lisse et blanche, semblable à notre papier actuel. Les feuilles étaient ensuite collées les unes à la suite des autres pour obtenir de longs rouleaux, appelés volumen.
Car l'importation du papyrus était cher, le parchemin réalisé en peaux d'animaux, était le support de lecture prépondérant jusqu'au Moyen-Age (de 476 à 1452) en Occident. Les peaux, principalement de chèvres ou de moutons, étaient traitées puis poncées afin d'être inscriptibles des deux côtés. A noter que le «vélin» est un parchemin de très bonne qualité obtenu avec de la peau de veau. D'après le dossier pédagogique sur L'aventure du livre11, édité par la BNF (Bibliothèque Nationale de France) en 2011, «l’utilisation du parchemin entraîne un changement fondamental dans l’histoire du livre : le passage du volumen au codex». Le codex fut créé peu après J.C. par un artisan romain qui relia plusieurs feuilles de parchemin entre deux rectangles de cuir plus rigides. Le format de l'ouvrage est déterminé par le pliage des feuilles : en deux (in folio), en quatre (in quarto), en huit (in octavo),etc. Le codex, est donc le premier véritable livre. Il contient bien plus de texte que le rouleau de papyrus à face unique, qui sera peu à peu délaissé. Grâce à sa prise en main et aux nouvelles possibilités de hiérarchisation du texte, le codex est le format utilisé par les scribes pour publier les premières bibles. Il s'imposera définitivement au 5ème siècle.
La réalisation de ces manuscrits médiévaux demandait un travail de longue haleine aux moines copistes. Les textes abordaient principalement des thèmes religieux et parfois scientifiques, culturels ou encore littéraires. Seuls l'Eglise ou de riches commanditaires possédaient des codex de ce type. Chaque ouvrage était unique car entièrement recopié à la main, agrémenté d’enluminures somptueuses et d'une reliure sophistiquée. Même après l'invention de l'imprimerie, entre 1450 et 1455, les manuscrits perdurèrent jusqu'au milieu du 16ème siècle.
Alors que l'objet livre évoluait à grande vitesse, «la tradition du monde oral continuait à réguler l'écriture et la lecture».12 En effet, peu importait que le lecteur fût seul ou entouré, la lecture silencieuse était alors inconnue. Les scribes ne faisaient que retranscrire le langage oral. Ainsi, et cela peut paraître difficile à croire, il n'y avait pas d'espaces entre les mots. C'est ce qu'on appelle la «scriptura continua». De plus, l'ordre des mots dans la phrase n'avait pas non plus d'importance, si bien que la lecture était très laborieuse. Lire à voix haute permettait d’atténuer la difficulté de ce déchiffrage.
Le nombre de lettrés et de publications de codex s’accrut au cours du Moyen-Age en Europe occidentale. Finalement, on vit apparaître des règles gouvernant la phrase. Elle fut progressivement divisée en mots séparés par des espaces. Ces nouvelles conventions libérèrent la créativité des auteurs qui commencèrent à prendre eux-mêmes la plume plutôt que de faire la dictée aux scribes. L'apparition de signes de ponctuation vint également simplifier la lecture et les gens entreprirent de lire en silence. Écritures et lectures devinrent ainsi des pratiques plus personnelles. Cette rupture avec la tradition orale prit plusieurs siècles et elle bouleversa les habitudes d’écriture et de lecture.
Autre invention révolutionnaire, dont la technique de fabrication évolua grandement selon les régions géographiques et les cultures: le papier. Il fut inventé en Chine peu avant J.-C. par le papetier Cian LUN. Si, en premier lieu il fut conçu à partir d'un mélange d'écorces, de chanvre et de chiffons, c'est ensuite le bambou qui devint la matière première prédominante pour la fabrication artisanale du papier. Les chinois associaient à la « pâte » de bambou des fibres de rotin, de paille ou encore d'hibiscus pour obtenir un papier plus fin et résistant. La diffusion de cette technique fut rapide dans tout l'Extrême-Orient mais elle ne se répandit dans le reste du monde qu'à partir du 8ème siècle. D'abord au Moyen-Orient et autour du bassin Méditerranéen, atteignant l'Espagne, l'Italie puis la France au cours du 12ème siècle. En 1348, à Troyes, est créée la première fabrique de papier en France.13
Il est avéré que l'arrivée de ce nouveau support moins coûteux en Europe a fortement contribué au développement de l'imprimerie. Comme le montre cette citation inspirée de l'esprit des lumières de l'Encyclopédie de DIDEROT et d'ALEMBERT, le papier est rapidement devenu indispensable à la société occidentale :
« Merveilleuse invention d'un grand usage dans la vie, qui fixe la mémoire des faits et immortalise les hommes. Cependant le "papier", admirable par son utilité, est le simple produit d'une substance végétale, inutile d'ailleurs, pourrie par l'art, broyée, réduite en pâte dans de l'eau, ensuite moulée en feuilles quarrées de différentes grandeurs, minces, flexibles, collées, séchées, mises à la presse et servant dans cet état à écrire les pensées et à les faire passer à la postérité».14
En raison de la demande croissante de copies manuscrites, les moines copistes ne pouvaient pas satisfaire tout le monde. Johannes GUTENBERG allait bientôt inventer une technologie d'un nouveau genre qui «permettrait [au livre] d'être produit et diffusé à bon marché, rapidement et en grandes quantités».15 En 1450, il allia ses compétences d'orfèvre et de fondeur pour mettre au point trois procédés indissociables. Le premier fut les caractères typographiques mobiles coulés en métal afin d'agencer à l'infini les pages de texte. Le second, une encre à base d'huile qui adhérait aux caractères de métal. Et enfin le troisième, une presse à vis en bois, semblable à celle des vignerons, pour transposer les lettres sur la feuille de papier. L'imprimerie à caractères mobiles était née et marqua plus ou moins le début des Temps Modernes (1452-1785). Le premier livre imprimé fut la Bible de Gütenberg, un projet colossal en deux volumes. L’imprimerie ne prit réellement son essor qu'autour de 1470 et se répandit alors rapidement dans une centaine de villes européennes et quelques 12 millions d'ouvrages sortirent de leurs presses.
Cependant à cette époque, l'imprimerie n'influence pas encore la forme du livre, qui ressemble encore au parchemin manuscrit. A partir du 16ème siècle, dans une volonté de lisibilité, le livre va progressivement se détacher de son apparence médiévale, et évoluer vers sa présentation actuelle: pagination, foliotation, grilles de mise en page, ponctuation, typographie romaine, etc.
L'univers économique de l'imprimerie et le système éditorial vont donc se transformer au fil des siècles pour ainsi aborder le passage vers la révolution industrielle. La diversification de l'offre éditoriale, l'apparition de nouveaux genres (dictionnaires, presse, romans...), l'alphabétisation des classes moyennes et populaires, la création et la mutation des acteurs du livre (éditeurs, auteurs, imprimeurs, libraires...) vont participer à la démocratisation massive du livre imprimé et de l'accès à la connaissance dans la société occidentale.
Mais c'est principalement la mécanisation des procédés de fabrication du livre qui va concourir à l'essor du livre industriel. Toutes les étapes de production sont concernées : de la fabrication du papier, à l'impression du texte, en passant par la reproduction des images, «faisant de ce qui avait été un artisanat une industrie».16 Dans l'Europe industrielle du 19ème, le livre explose, moins cher et plus rapide à produire, il gagne de nouveaux lectorats. Le livre contemporain du 20ème siècle est quant à lui, marqué par le succès des livres jeunesse et des romans policiers, le développement du format poche et l'internationalisation des maisons d'éditions.
Si la première page imprimée a déjà plus de cinq siècles, les écrans, eux, ont tout juste 35 ans. Les fabuleux progrès en matière de micro informatique permettent à IBM et Apple de marquer l'histoire avec les premiers ordinateurs personnels. Le Macintosh 128k est dévoilé en 1984 dans la Sillicon Valley. Il dispose d'une souris de navigation, d'un clavier et surtout d’une interface graphique intuitive (What You See Is What You Get). C'est là les prémices de la page numérique.
Le World Wide Web, mit au point dans les années 1990 par Tim BERNERS-LEE va davantage faciliter ce rapport entre l'utilisateur et l'information, en abolissant les frontières. Les mails, les forums, et les blogs amorcent une écriture et surtout une lecture d'un nouveau genre, la lecture numérique.
Rien n'est épargné par les métamorphoses technologiques. Aussi, des chercheurs du MIT (Massachusetts Institute of Technologie), fondent en 1997 la société E Ink qui met au point une encre électronique. Pour l'expliquer simplement, un champ électrique binaire permet d'afficher des particules noires ou blanches et ainsi former les lettres à la surface du support. Cette technologie fut intégrée aux premiers supports dédiés à la lecture. Marie LEBERT, chercheuse et éditrice spécialisée dans la technologie du livre, propose dans son ouvrage Les mutations du livre à l'heure de l'internet17 une chronologie des premiers supports numériques. «Le modèle le plus connu, le Rocket eBook, est créé [en 1999] par la société NuvoMedia, en partenariat avec la chaîne de librairies Barnes & Noble». Parfois appelées e-book, livrel, lyber, plus simplement livre numérique, ou aujourd'hui liseuse, les premières tablettes de lecture pouvaient peser jusqu'à 2 kilos et ne contenaient qu'une dizaine d'ouvrages.
Au tournant du 21ème siècle, un autre support mobile pointe le bout de son nez, c'est le smartphone. Le premier du genre est le Nokia 9210. Il est créé en 2001 par Nokia qui est alors un des leader du marché des téléphones portables. Il dispose d’un écran couleur, de l'audio et d'un appareil photo, auxquels viennent s'ajouter d'autres fonctions diverses plus personnelles: agenda, dictaphone, lecteur de musique et bien sûr un lecteur de livres numériques grâce au Mobipocket Reader.
Le Kindle, support de lecture révolutionnaire, apparaît en 2007 aux Etats-Unis et plus tardivement en France en 2011. Mis au point par Amazon, sa conception n'a été rendue possible que par l'invention d'autres technologies. Tout d'abord l'ebook ou autrement dit le premier fichier de livre numérisé grâce au Projet Gutenberg.18 Considéré comme la première bibliothèque numérique, ce site pionnier fut «créé en juillet 1971 par Michael Hart pour diffuser gratuitement sous forme électronique les oeuvres littéraires du domaine public».19 Il compte actuellement plus d'un million de livres. L'autre technologie, dont je parlais précédemment, est l'encre numérique. Contrairement aux autres livres numériques, le Kindle possède un accès 3G pour acheter des ouvrages immédiatement ainsi qu'un catalogue bien rempli. Son succès en fait aujourd’hui la liseuse la plus vendue au monde.
Le dernier support en date est l'iPad, présenté en janvier 2010 par Apple. Cette tablette tactile multifonctions, clairement orientée vers les médias culturels, est à même de redéfinir notre rapport au livre et à la lecture. Son arrivée sur le marché de la lecture numérique et le lancement du iBooks store vient faire de la concurrence aux liseuses.
On retient alors que tous les supports de la lecture, en particulier le codex et le papier, ont défini notre rapport au livre. Les écrans, à leur manière, contribuent eux aussi à faire évoluer nos habitudes de lecture.
Etat des lieux
A l’heure actuelle, le papier n'est plus le seul vecteur de la culture écrite. Les supports numériques bouleversent nos habitudes de lectures en mêlant au texte, des images ou de l'audiovisuel. Sur son blog La feuille, consacré à l'édition à l'heure de l'innovation, Hubert GUILLAUD écrivait en 2011 qu'il se dessinait 3 grandes familles de supports numériques :
- Les ordinateurs, mode d'accès dominant.
- Les smartphones, pour la mobilité absolue.
- Les supports dédiés, communément appelés liseuses, pour le confort de lecture et le stockage.20
Aujourd'hui, en 2015, on peut affirmer qu'une quatrième famille participe à cet essor de la lecture numérique : les tablettes, qui réunissent les qualités des trois autres et en lesquelles les éditeurs fondent beaucoup d'espoirs.
Le Baromètre sur les usages du livre numérique, réalisé par La SOFIA (Société Française des Intérêts des Auteurs de l’écrit), le SNE (Syndicat National de l’Édition) et la SGDL (Société des Gens de Lettres), témoigne du taux d'équipement des français en 2014. Ainsi, parmi un échantillon de lecteurs numériques, il est constaté un accroissement certain du nombre de lecteurs sur smartphones (83%), qui dépasse à présent les ordinateurs (81%), et une installation lente de la liseuse (25%), néanmoins réservée à de grands lecteurs. La tablette quant à elle, 55% des lecteurs numériques en possèdent une, enregistre 15% d'intention d’achat chez les lecteurs actuels ou potentiels de livres numériques.21 Mais cette variété de supports numériques, de plus en plus nombreux peut également compromettre l'accès des lecteurs et le travail des designers.
Qu'est ce que la lecture numérique?
La lecture sur écran, quel qu'il soit, est considérée comme de la lecture numérique. Mais il n'est pas évident de définir précisément cette pratique associant la lecture, qui nous l'avons vu est une coutume ancestrale, avec les nouvelles technologies. Aussi, j'ai sélectionné la définition pertinente de Alexis JAILLET sur ebouquin.fr, site de référence sur l'actualité de la lecture numérique: «La lecture numérique c’est le rendez-vous de l’industrie du livre, du monde de l’édition, de la presse, du papier, avec celui de l’Internet, de l’instantané, de l’information à profusion».22 Plus qu'un rendez-vous, c'est une confrontation que l'industrie du livre, comme de nombreuses autres industries culturelles, n'a pas pu éviter. L'enjeu aujourd'hui, pour tous les acteurs de la chaîne du livre, est de proposer une harmonie dans laquelle le lecteur se retrouvera, tant dans l'offre que dans l'expérience.
Les lecteurs, en fonction du support de lecture qu'ils auront choisi, peuvent être quelque peu perdu dans l'offre numérique. En effet, il existe une grande ambiguïté entre le contenant et le contenu. Il me paraît donc important de revenir sur le vocabulaire associé à la lecture numérique. Dans le langage, un livre numérique est également appelé une liseuse. Il représente donc le contenant, le support de la lecture dont nous avons parlé précédemment. Mais la notion de livre numérique peut aussi être attachée au terme de ebook. C'est à dire le contenu, le livre dématérialisé sous forme de fichier.
Les formats de ces fichiers sont nombreux. Les plus répandus sont le PDF, l'EPUB, KF8 pour Kindle, iBooks pour Apple, et les applications autonomes (applications disponibles sur l'AppStore d’Apple, d’Androïd ou de Windows). Selon Etienne MINEUR, cofondateur et directeur de création du studio Volumique23, on peut classer tous ces formats dans deux catégories. D'un côté, on retrouve des formats dits «figés», nécessitant un lecteur :
- Le PDF, à l'instar de la Bible de Gutenberg qui cherchait à imiter l'écriture gothique des scribes, est la transposition fidèle d'une œuvre imprimée. Ce format respecte le travail de mise en page et de typographie du graphiste mais est aussi très pauvre en interactions.
- Le EPUB est un groupe de fichiers HTML5 (langage de balisage d’hypertexte) et CSS (feuilles de style en cascade) contenus dans un ZIP. Le contenu et la forme du texte sont séparés et par conséquent (si aucune indication n'est précisée dans le CSS) l'apparence initiale de l'ouvrage peut être complètement chamboulée. En revanche, il a l'avantage d'être compatible avec la majorité des supports numériques.
Etienne MINEUR dit de l'utilisation de ces deux formats qu'elle est « économiquement […] beaucoup plus simple et moins onéreuse mais laisse beaucoup moins de libertés aux auteurs ».24
De l'autre côté, il y a les applications autonomes faites spécifiquement pour un système propre (Androïd , Iphone et Windows Phone) sur ordinateur, smartphone ou tablette. Elles sont pensées pour faire collaborer le texte avec des éléments extérieurs (images, son, vidéo, animations JavaScript, données captées, réseaux sociaux...etc.). En choisissant de travailler sur une application dédiée, les auteurs et les designers ont une grande liberté d'action sur l’enrichissement et l'éditorialisation du texte et des contenus (voir schéma 7).
Jiminy PANOZ, co-fondateur de l’ebook studio Chapal & Panoz, et lui-même auteur, développeur et designer de livres numériques, me livrait lors d'un entretien : «c’est un écosystème clôturé par les revendeurs, il faut composer avec les contraintes de format». En effet, Amazon et Apple utilisent leurs propres formats qui se rapprochent de l'EPUB mais qui ne le sont pas. Dans son ouvrage, Le b.a.-ba. du livre numérique, un ebook gratuit qui raconte, explore et expérimente le livre numérique, il aborde l'inter-opérabilité du format EPUB. D'après ces mots, l'interopérabilité est «la capacité d’un livre numérique à fonctionner dans un écosystème existant ou futur sans restriction d’accès ou de mise en œuvre».25 Comme seul le format EPUB est ouvert et interopérable, l'écosystème est paralysé. Cela contraint les lecteurs à convertir leurs fichiers au risque de les endommager et les designers à s'approprier les spécificités de chaque format. Ce sont les DRM (chiffrement du fichier pour restreindre l’utilisation qui en est faite), qui entre autres, limitent cette interopérabilité.
En février 2013, une enquête sur les Pratiques de lecture et d’achat de livres numériques, réalisée pour le MOTif, observatoire du livre et de l’écrit en Ile-de-France, a démontré qu’avec le prix, la compatibilité des formats et les DRM étaient les principaux freins à l'achat et à l'utilisation des livres numériques.26 La complexité technique des formats d'encodages complique la tâche de tout l'écosystème et, se tourner complètement vers le HTML pourrait être une solution à ces contraintes.
Combiner les supports : le transmédia.
Nous l'avons vu, les lecteurs numériques sont de plus en plus équipés, ils consomment leurs livres, et d'autres médias, parfois sur plusieurs écrans. Afin de s'adapter à ces nouveaux usages, les industries culturelles n'ont pas hésité à élaborer des «points d’entrée» de leurs messages sur différentes plates-formes médiatiques (télévision, radio, ordinateur, smartphone, magazine, cinéma...etc.). Cela permet de capter un plus grand nombre d’utilisateurs, de créer un engouement, une fidélisation. On appelle cette pratique le transmédia. Dans leur recueil Etat de l'art sur le transmédia, écrit en 2011, Mélanie BOURDAA, Emmanuelle VITALIS et Antoine CHOTARD déclarent que «avec le transmédia, la richesse de la narration se déploie sur plusieurs plates-formes médiatiques. […] Ce phénomène de convergence des technologies favorise les processus d’interactivité».27 Ainsi, cette nouvelle forme de diffusion médiatique, encore en pleine expérimentation, est à différencier du cross-média qui est l’adaptation d'une même œuvre sur différentes plates-formes médiatiques. L'intérêt du transmédia par rapport au cross-media est que chaque support peut apporter quelque chose en plus à l'expérience de l'utilisateur.
Les marques l'ont bien compris et en ont même fait une stratégie de communication appelée le brand content. L'objectif principal est de créer l’émotion et l’implication du consommateur envers la marque à travers différents écrans.
L'industrie de la presse, voisine de celle du livre, a trouvé dans le transmédia une solution partielle à la crise économique qu'elle traverse. Face à un public qui s’informe de plus en plus sur le web, on assiste à l'apparition de nouveaux formats qui montre l'information d'un œil nouveau, plus interactif. Ainsi le web-documentaire et le scrollitelling ou scrolly-telling font leur entrée sur la scène. Les web-documentaires sont des vidéos interactives. Parmi celles que j'ai pu regarder, je retiendrais particulièrement Prison valley28 de David Dufresne & Philippe Brault, produite par Arte. Le format en scrollitelling est un blog en «onepage». C'est à dire que l'utilisateur scroll en continu sur la page web pour faire apparaître du texte, des images, des vidéos..etc. The New York Times et The Guardian proposent beaucoup de formats de ce genre, avec notamment Snow Fall29 de John BRANCH pour l'un et Firestorm30 de Jon HENLEY pour l'autre. A l'inverse de ces blogs informels, il en existe des plus ludiques et tout aussi intéressants comme Distance to Mars31 de David PALIWODA et Jesse WILLIAMS.
Le développement de ces formats narratifs dans l'univers du livre est encore timide. Pourtant comme l'explique la vidéo du Collectif d'Orange, 60 secondes pour comprendre le transmédia, le transmédia est un bon moyen de «brouiller la frontière entre la réalité et la fiction».32 La narration est déployée sur les différents supports de lecture à la disposition du lecteur et l'expérience de lecture est plus immersive dans son quotidien. Par exemple le projet Alice33 du studio de design IDEO propose au lecteur de recevoir un sms du personnage principal. Cette péripétie inattendue participe à créer un univers cohérent autour de la narration. Cela peut donner des idées aux designers pour repenser l'approche du livre numérique et aux auteurs pour imaginer leurs futures œuvres numériques.
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10. Nicholas CAAR, Internet rend-il bête ?, éditions Robert Laffont, octobre 2011, p.91.
11. BNF, rubrique classes, dossier pédagogique sur L’aventure du livre, 2011, http://classes.bnf.fr, consulté en Septembre 2014.
12. Nicholas CAAR, op.cit., p.93.
14. DIDEROT et d’ALEMBERT, Encyclopédie, 1751-1772, (article 1757).
15. Nicholas CAAR, op. cit., p.103.
16. BNF, L’aventure du livre, op.cit.
17. Marie LEBERT, Les mutations du livre à l’heure de l’internet, Septembre 2007, p.129.
18. Projet Gutenberg, www.gutenberg.org
19. Marie LEBERT, op. cit., p.11.
20. La Feuille, Hubert GUILLAUD, Les supports du livre numérique, avril 2010, lafeuille.blog.lemonde.fr, consulté en juillet 2014.
21. Etude réalisée par la SOFIA, le SNE et la SGDL, Baromètre sur les usages du livre numérique, février 2014.
22. Alexis JAILLET, Lecture numérique : Précisions sur le vocabulaire, mars 2010, www.ebouquin.fr, consulté en septembre 2014.
23. Studio Volumique, http://volumique.com
24. Archives, Etienne MINEUR, Ré-enchanter la lecture numérique, Novembre 2012, www.my-os.net/archives, consulté en septembre 2014.
25. Jiminy PANOZ, Le b.a.-ba. du livre numérique, Chapal & Panoz, septembre 2013, p.46.
26. Dominique Boullier et Maxime Crépel, étude réalisée pour le MOTif, Pratiques de lecture et d’achat de livres numériques, février 2013.
27. Mélanie BOURDAA, Emmanuelle VITALIS et Antoine CHOTARD, Etat de l’art sur le transmédia, juin 2011.
28. David DUFRESNE et Philippe BRAULT, Prison valley, [webdocumentaire], Arte , 2010, http://prisonvalley.arte.tv.
29. John BRANCH pour le New York Times, Snowfall, [Scrollitelling], 2012, www.nytimes.com
30. Jon HENLEY pour The Guardian, Firestorm, [Scrollitelling], 2013, www.theguardian.com
31. David PALIWODA et Jesse WILLIAMS, Distance to Mars, [Scrollitelling], 2013, http://distancetomars.com
32. Le Collectif d’Orange, 60 secondes pour comprendre le transmédia, [vidéo], 2012, http://lecollectif.orange.fr
33. IDEO, Future of the Book, [vidéo], 2010, www.ideo.com
Réinventer la narration.
Face à cette surconsommation des médias sur écrans, les auteurs doivent s'adapter aux attentes de leurs lecteurs. Pour cela, repenser la narration dès le début du processus d'écriture me paraît nécessaire. Avant de voir ce que devient la narration dans un contexte numérique, il est important de définir ce qu'est la narration traditionnelle. Sur le portail du CNRTL (Centre National des Ressources Textuelles et Lexicales), la narration a plusieurs définitions34 :
- «Récit développé dans une oeuvre littéraire; exposé détaillé de la suite de faits et d'actions constituant l'intrigue».
- «Partie du discours où l'orateur raconte, expose, développe le fait».
C'est donc un processus de description, issu de la tradition orale, qui prend en compte un narrateur et une succession d'informations organisées logiquement. La narration traditionnelle est linéaire. Dans le sens ou l'auteur décide de là où il veut emmener son lecteur. Il choisit la chronologie et le rythme qu'il donne à son récit au travers d'un contexte, de personnages, d'un thème et d'une intrigue.
La lecture numérique vient donc questionner cette narration traditionnelle et l'espace même du récit. Pour Dragana TRGOVCEVIC, dans son étude sur La narration interactive, tout est une question de perspective. C'est à dire que le point de vue du lecteur importe beaucoup et une «philosophie centrée sur l’utilisateur-lecteur s'instaure». Avec le numérique, la lecture devient non-linéaire, «cela signifie donner à l’utilisateur un certain contrôle sur la construction de la narration en lui laissant la liberté de diriger et la capacité d’influencer le voyage dans l’espace narratif»35. Cette non-linéarité peut être favorisée avec le transmédia, nous l'avons vu précédemment avec le projet de IDEO, mais également avec une fonction de base du numérique et du système de navigation web, les hyperliens. Ces liens facilitent la consultation des contenus en permettant au lecteur de sauter d'un endroit à un autre du récit. On parle parfois même de littérature hypertextuelle.
C'est un véritable défi pour les auteurs qui doivent avoir une vision dimensionnelle et penser préalablement aux cheminements et à la structure de l'espace narratif qu'est le récit. Et cette tâche peut s'avérer compliquée car ils doivent également anticiper et admettre le fait que le lecteur s'empare du récit et y circule dans l'ordre qu'il souhaite. A l'exemple de l'artiste et du cinéaste qui gèrent les plans avec un pinceau ou une caméra, l'auteur peut utiliser le numérique pour donner visuellement de la profondeur à son récit. Oui, la narration interactive, pour offrir au lecteur une expérience satisfaisante, se doit d'être visuelle et donc éditorialisée.
L'interface : fenêtre de la lecture.
Qui n'a jamais été attiré par une belle couverture dans les rayons d'une librairie ou d'une bibliothèque? Avec l'interface d'un livre numérique, c'est la même chose. L'interface est le premier contact -visuel- du lecteur avec le livre. L'interface séduit et prépare à l'interaction. C'est pourquoi elle doit être esthétique et refléter l'univers du récit, mais sans en faire trop pour ne pas lui voler la vedette.
Le lecteur a la main mise sur l'interface du livre et c'est là un des grands avantages de la lecture numérique. Il peut changer la taille de la typographie ou sa famille, pratique pour les personnes avec une déficience visuelle, mais aussi souligner, annoter et partager du contenu. Comme le dit si bien Jiminy PANOZ toujours dans Le b.a.-ba. du livre numérique, «les lecteurs définissent donc aujourd’hui ce que le livre est».36 Et de par ces simples interactions, le livre numérique se rapproche du livre imprimé. Mais pour que son utilisation paraisse simple et intuitive aux lecteurs, l'interface doit être pensée pour eux. La circulation dans l'espace du livre a une place importante, tout comme la lisibilité et le confort de lecture. C'est pourquoi la barre de navigation, équivalente du sommaire, donne au lecteur la possibilité de se repérer, d'aller d'un bout à l'autre du récit et de retrouver ses passages préférés.
De mon propre avis, les tablettes et leurs gestuelles tactiles intuitives, permettent de profiter pleinement d'une expérience de lecture numérique. Leurs écrans à haute résolution sont idéals pour incorporer astucieusement, du contenu multimédia dans la page et ainsi contribuer à l'épanouissement de l'univers du récit.
En passant du papier à l'écran, la page n'a pas subi de changement majeur mais elle a tout de même dû s'adapter. Le texte qu'elle contient est immatériel et se trouve maintenant sous forme de code, enfoui dans la mémoire du support de lecture. Le texte est un flux qui circule sur l'écran. Aussi, l'interface de lecture et l'éditorialisation du texte doivent prendre en compte les différents écrans qui peuvent contenir ce flux. Quand un contenu s'adapte à son support, on parle de reflowable text (littéralement texte recomposable) pour le livre numérique et de Responsive Web Design (littéralement la conception web adaptive) son équivalent pour le web. Tout comme pour une page imprimée, il faut faire respirer le texte au moyen d'alinéas et de paragraphes mais aussi en s'appuyant sur les blancs et sur la hiérarchisation. Ces bases de design offrent ainsi au lecteur, compréhension rapide de la structure interne du texte et engage une navigation intuitive.
Pour transformer la lecture et offrir une expérience de lecture optimale aux lecteurs, les designer doivent s'attacher à réfléchir sur l'interface de lecture (UI, User Interface) et sur les interactions qui la composent (UX, User Experience). Parlant au nom de la profession, Jiminy PANOZ aborde ce sujet en disant que «nous devons construire un nouveau langage commun, dérivé du livre et du web».37 Il est important également d'exploiter les ressources à disposition au sein même de ces supports de lecture.
Le rôle des technologies réflexives.
En juin dernier, j'ai participé à la conférence Améliorer nos vies avec les technologies réflexives? co-organisée par le Cluster du Quartier de la Création et l'Université de Nantes.38 J'ai alors pris conscience de la présence inéluctable de ces technologies dans notre quotidien, notamment avec l'essor des smartphones et des objets connectés (bracelets, montres, ceintures, etc.).
Autrefois réservées aux militaires ou aux sportifs de haut niveau, ces «pratiques de soi» sont désormais à la portée de tous. Principalement au travers d'applications dédiées à l'activité physique ou à la santé, les utilisateurs captent en temps réel des données (nombre de pas, temps de sommeil, diabète, rythme cardiaque...etc.). Ces données sont ensuite analysées et traduites graphiquement. Pour Christophe DESHAYES et Jean-Baptiste STUCHLIK, respectivement président et directeur R&D de Tech2Innovate,39 cela permet «une forme d’auto-coaching grâce au numérique, forme commune de l’étonnante pratique du quantified self visant à mieux se connaître pour mieux se changer»40.Cette pratique s’infiltre donc dans notre rapport à nous-mêmes, visant à prendre conscience de ce dont on n'est pas conscient.
Plus généralement, ces technologies s'implantent dans le domaine du bien-être et de la relaxation. Et qu'est-ce que lire un roman, sinon un moment d'évasion et de bien-être? Pour ce qui est de la lecture numérique, les technologies réflexives n'en sont qu'à leurs balbutiements. Pourtant dans son article intitulé Ré-enchanter la lecture numérique, Etienne MINEUR déclare que «jamais un -livre- n’a pu savoir autant de choses sur son lecteur».41 En effet, nos supports de lectures numériques regorgent de capteurs en tous genres, et accumulent des données qui sont toutes potentiellement exploitables.
Ces capteurs sont méconnus des utilisateurs. L'accéléromètre (vitesse et accélération), le gyroscope (orientation et stabilité), les capteurs d'humidité et de proximité, le GPS et la boussole sont les plus souvent empruntés dans les applications que nous utilisons quotidiennement. En détournant la fonction des capteurs contenus dans un smartphone ou une tablette tactile pour l'intégrer à une expérience de lecture numérique, on se met dans une démarche de hacking : utiliser une technologie à des fins différentes à ce pourquoi elle était prévue. Mais il ne faut pas non plus oublier les données que nous créons volontairement, celles que nous partageons ou encore celles qui sont publiques: galerie photos, mails et sms, carnet d'adresses, Facebook, Twitter, date et heure, météo...etc. Etienne MINEUR dresse une liste, plus que stimulante et parfois saugrenue, d'idées pour tirer parti de ces données. Par exemple, le texte s’adapterait au niveau de la batterie pour créer du suspens ou, pousser à l'extrême, le livre pourrait demander au lecteur de changer d'orientation dans l'espace, afin de continuer l'histoire et s'il ne le fait pas, le livre pourrait bouder (il ne réagit plus pendant les vingt prochaines minutes) ou il pourrait râler (vibrations).42 Reste aux designers et aux auteurs d'exploiter toutes ces données pour transformer l'expérience de lecture numérique et nourrir l'intrigue autour des récits. Il ne faut toutefois pas voir la technologie comme une démonstration technique mais bien veiller à ce qu'elle serve le récit en l'intégrant dans une réflexion design.
Il est certain que les prochaines années seront témoins des transformations de la lecture numérique et les éléments que j'ai évoqués ici ne sont que des pistes parmi tant d'autres autour du livre de demain. Il s'agit avant tout d'élargir notre idée du livre et de ce qu'il pourrait être. Pour cela, designers et auteurs se doivent de travailler ensemble. En ayant l'occasion d'associer leurs compétences et leurs savoirs sur la lecture numérique, ils sont une des preuves de la transformation de l'industrie du livre.
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34. Portail CNRTL, CNRS, Lexicographie du mot « narration », www.cnrtl.fr
35. Dragana TrgovčCeviCć, La narration interactive, ENSCI - Les Ateliers, juin 2011.
36. Jiminy PANOZ, Op. cit., p.103.
37. Jiminy PANOZ, Op. cit., p.52.
38. Organisée par le Cluster du Quartier de la Création et l'Université de Nantes, Améliorer nos vies avec les technologies réflexives?, conférence tenue à Nantes, le 15 juin 2014, www.creationduquartier.com
39. Techn2innovate, société innovante dans le domaine des technologies numériques, www.tech2innovate.com
40. Christophe Deshayes et Jean-Baptiste Stuchlik , Any to oneself : l’essor des technologies réflexives, janvier 2015, www.paristechreview.com, consulté en janvier 2015.
41. Archives, Etienne MINEUR, Op.cit.
42. Archives, Etienne MINEUR, Op.cit.
La nouvelle chaîne du livre
Le livre imprimé est au centre de la chaîne du livre. De l'écriture à la vente, tous les acteurs participent à chaque étape de sa conception. Longtemps protégés dans ce circuit bien rodé, les acteurs affrontent aujourd'hui la croissance du livre numérique. La concurrence des géants nord-américains se fait pressante et les professionnels sont forcés de redéfinir leur rôle au sein même de cette chaîne. Aussi, elle tend à se complexifier. La disparition des étapes d'impression, de stockage et de distribution remet en question la présence de certains acteurs comme les imprimeurs et les libraires. Mais de nouvelles étapes de conception et de diffusion sont nécessaires, permettant l'arrivée de nouveaux métiers comme les designers, les développeurs ou les agrégateurs qui concentrent les relations entre éditeurs et revendeurs (voir schéma 8).
Les métiers, les mentalités évoluent prudemment face au numérique et la relation entre éditeurs, auteurs et lecteurs se transforme. Avec la nouvelle chaîne du livre, les liens sont virtuels et les échanges accélérés grâce à Internet et aux réseaux sociaux. Ainsi le lecteur garde une importance de choix, il fait vivre le secteur. Mais à présent, il est en relation direct avec les autres acteurs. Il peut commenter et même partager son avis sur un livre. Il assure ainsi une partie du succès d'une publication et les éditeurs traditionnels doivent se former à ces nouvelles pratiques de diffusion. L'auteur quant à lui s'émancipe, il peut facilement s'auto-promouvoir et il prend en compte les nouveaux genres de consommation du livre en ligne. On voit ainsi naître de nouvelles formes d'expression : formats courts, blogs, ou encore tweets. Pour l'heure, l'ensemble des acteurs se questionnent sur la stratégie à adopter. Le défi pour eux est alors d'amorcer la transition vers le numérique sans mettre en danger l'équilibre économique actuel.
A la recherche d'un modèle économique
L'élément déclencheur de la montée du numérique dans l'industrie du livre fut l'arrivée du Kindle en 2007. Le succès à été relativement tardif en France mais il a été constaté une augmentation du nombre de lecteurs de livres numériques de 5 à 15 % entre 2012 et 2014.43 On doit bien sûr cette hausse, aux éditeurs français qui se sont adaptés non sans mal aux nouvelles attentes des lecteurs mais on la doit également aux géants nords-américains. En effet, le GAFA (Google, Amazon, Facebook, Apple) règne en maître sur l'économie numérique en général. Chacun à leur manière, ils influencent nos habitudes : Google pour la recherche et le référencement, Amazon pour le e-commerce, notamment de livres imprimés et numériques, Facebook pour le partage et les données personnelles, et Apple pour l'informatique et la musique.
Dans son récent ouvrage Le livre à l'heure numérique, Françoise BENHAMOU, spécialiste reconnue de l'économie de la culture, écrivait que «si Amazon, Apple et Google se sont positionnés sur le marché du livre numérique, aucun ne vient tout à fait du monde de la culture, et le livre apparaît comme un élément d'une stratégie de diversification».44 Comme nous l'avons vu dans le sous-chapitre Qu'est-ce que la lecture numérique?, Amazon et Apple créent des barrières commerciales et technologiques en verrouillant le lecteur dans leur écosystème avec des contraintes de format et de DRM. Ce monopole du marché à tendance à ralentir l'élan d'innovation des concurrents mais il est encore possible pour eux de se démarquer.
Dans le monde de la musique, les ventes de disques ont commencé à décliner face au piratage et au prix élevé de l'album à la fin des années 1990. Aujourd'hui une nouvelle configuration est née de l'ancienne, à savoir le téléchargement légal notamment sur iTunes et le streaming avec des sites d'écoute comme Deezer ou Spotify. Le secteur du livre devrait peut-être prendre exemple sur les choix qu'a fait le secteur musical. Déjà les professionnels de la chaîne du livre se questionnent sur la manière à adopter. Les éditeurs traditionnels prennent le virage du numérique, en 2014, 57,2 % d'entre eux prévoyaient de développer une offre de livres numériques.45 De plus, de nouveaux éditeurs tout numérique, que l'on nomme pure players, testent des projets éditoriaux innovants. On voit alors quelques modèles commerciaux se détacher comme le téléchargement et le payement unitaire, le libre accès (à l'exemple de la bibliothèque Gallica de la BnF) et la gratuité qui peut parfois déboucher ensuite sur une offre payante (freemium), ou enfin le service d'abonnement comme le propose la maison d'édition publie.net. Pour l'heure cela ressemble davantage à des expérimentations commerciales qu'à une réelle ouverture économique. De plus le livre numérique n'échappe pas au piratage, et il est même parfois plus aisé de trouver un livre en le téléchargeant illégalement.
Il faut préciser que le différentiel du taux de TVA entre les livres imprimés et numériques (le premier est taxé à 5,5 % et le second à 20 % comme un service) ne facilite pas la tâche pour instaurer des politiques de prix concurrentielles. Depuis 2012, la France a choisi d'appliquer un taux unique au risque d'être sanctionnée par la Commission Européenne. Mais le le 9 octobre dernier, «des représentants du livre de 14 pays de l'Union ont présenté une déclaration commune à l'occasion de la Foire de Francfort. Un texte qui demande notamment un taux de TVA réduit unique».46 De plus, ils dénoncent dans ce texte le monopole du GAFA et n'omettent pas de souligner l'importance de l'inter-opérabilité dans cet écosystème fragile.
«Éditeur nativement numériques ou nativement papier expérimentent en permanence».46 et la diversité des offres proposées témoignent de la phase d'hésitation dans laquelle se trouve tout le secteur. Le marché est fragmenté et les lecteurs semblent perdus dans ces propositions mais cela laisse néanmoins l'opportunité aux acteurs de collaborer pour inventer de nouvelles pratiques.
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43. Etude réalisée par la SOFIA, le SNE et la SGDL, Op.cit.
44. Françoise Benhamou, Le livre à l’heure du numérique, éditions Seuil, septembre 2014.
45. étude réalisée par KPMG, Baromètre 2014 de l’offre de livre numérique en France, mars 2014.
46. Libération, rubrique Culture, Frédérique ROUSSEL, Livre numérique : l’édition européenne se serre les coudes, octobre 2014, www.liberation.fr, consulté en octobre 2014.
47. Aurélia BOLLÉ, Marie-Christine ROUX et Virginie ROUXEL, étude réalisée par le MOTif et le Labo de l’édition, Pratiques d’éditeurs : 50 Nuances du Numérique, mars 2014.
Les recherches associées à la rédaction de ce mémoire ont été l'occasion de m’imprégner pleinement de ce sujet. C'est une étape essentielle dans mon projet de fin d'étude. Cela m'a permis de capter et de m'emparer des enjeux de la mutation des habitudes de lecture dans un contexte de développement du numérique. Grâce à ce mémoire j'ai pu mettre des mots sur ma démarche de designer.
Depuis des millénaires, notre cerveau a évolué avec nos pratiques culturelles dont fait partie la lecture. Dans un premier temps, j'ai abordé les mécanismes de la lecture qui s'opèrent au fin fond de notre cerveau. Aussi complexes soient-ils, les neurosciences cognitives permettent de les analyser. Notre œil quant à lui, réalise la première étape de la lecture, le déchiffrage visuel et la décomposition du mot. Mieux comprendre son fonctionnement pourrait permettre d'adapter l'acte de lire aux supports numériques. De plus, l'anatomie de notre œil impose à la lecture des contraintes de vitesse que le numérique peut influencer.
La lecture accompagne l'homme depuis l'Antiquité et elle n'a cessé d'évoluer au fil des supports, chacun apportant avec lui de nouvelles habitudes de lecture. Le rapport que l'homme entretient avec son support conditionne donc sa lecture. L'offre numérique, en pleine croissance, entraîne avec elle son lot de difficultés. En effet, les nombreux formats de lecture peuvent compliquer la tâche des utilisateurs pour accéder aux ouvrages et celle des designers pour composer le livre de demain. Mais elle entraîne également son lot d'enthousiasme : la lecture numérique est jeune, et elle a encore beaucoup à apprendre du livre imprimé. Le transmédia est justement là pour favoriser les rencontres entre tous les supports de la lecture.
Les designers ont les cartes en main pour explorer et piocher dans les technologies numériques ce qui pourra transformer l'expérience de lecture. Trop souvent, la lecture numérique est une transposition figée d'un texte sur un écran. L'interface de lecture, si elle est intuitive, est en mesure d'apporter quelque chose d'unique aux lecteurs. Tout comme les technologies réflexives, qui font du livre numérique un objet intelligent, sensible et connecté avec son lecteur. Enfin, je pense qu'il y a une réelle réflexion à mener sur le rapport entre la lecture et l'écriture numérique. Les auteurs, en s'adaptant aux attentes des lecteurs, écrivent davantage pour le numérique, et la narration traditionnelle linéaire devient interactive.
Il est maintenant évident que, en tant que future designer, j'ai ma place dans l'univers du livre. La configuration économique actuelle est encore confuse, ce qui permet aux designers, entre autres, d’intégrer la nouvelle chaîne des acteurs du livre. Ils apportent avec eux leur vision de cet univers et de belles promesses d'expériences numériques. D'autant que mon étude du terrain m'a permis de constater que les lecteurs, habitués ou non au numérique, étaient curieux de découvrir de nouvelles expériences de lecture sur tablette.
Ces recherches m'ont rassurée dans ma volonté de penser le numérique comme un outil qui transforme la lecture, mais sans la dénaturer. L'expérience de lecture me tient à cœur, aussi, je veux voir comment un projet design peut engager davantage un lecteur dans sa lecture, Comment, en tirant parti des possibilités offertes par le numérique, pourrait-on imaginer une expérience de lecture inédite ?
Il me semble qu'une réponse à cette question serait un outil qui repenserait la relation des acteurs de la chaîne du livre. En proposant une co-écriture de nouvelles, je souhaite renforcer le lien entre les lecteurs et les auteurs. Le lecteur serait intégré dans le processus créatif et ainsi plus engagé dans sa lecture. Cela implique donc de cerner les besoins et les attentes de ces deux acteurs qui se trouvent actuellement dans l'expectative. Pour proposer une expérience de lecture inédite et bouleverser nos usages et notre consommation du livre, je m'attacherais à créer une interface intuitive pour ce nouveau service. Cette rupture numérique est l’occasion de donner une impulsion à la lecture numérique de demain, en apportant mes compétences, ma créativité et ma méthodologie de designer.
Bibliographie.
Françoise BENHAMOU, Le livre à l’heure du numérique, éditions Seuil, septembre 2014.
Aurélia BOLLÉ, Marie-Christine ROUX et Virginie ROUXEL, étude réalisée par le MOTif et le Labo de l’édition, Pratiques d’éditeurs: 50 Nuances du Numérique, mars 2014.
Dominique BOULLIER et Maxime CREPEL, étude réalisée pour le MOTif, Pratiques de lecture et d’achat de livres numériques, février 2013.
Mélanie BOURDAA, Emmanuelle VITALIS et Antoine CHOTARD, Etat de l’art sur le transmédia, juin 2011.
Nicholas CAAR, Internet rend-il bête ?, éditions Robert Laffont, octobre 2011.
Stanislas DEHAENE, Les neurones de la lecture, éditions Odile Jacob, août 2007.
DIDEROT et d'ALEMBERT, Encyclopédie, 1751-1772, (article 1757).
Etude réalisée par KPMG, Baromètre 2014 de l’offre de livre numériques en France, mars 2014.
Marie LEBERT, Les mutations du livre à l'heure de l'internet, septembre 2007.
Jiminy PANOZ, Le b.a.-ba. du livre numérique, Chapal & Panoz, septembre 2013.
Etude réalisée pour la SOFIA, le SNE et la SGDL, Baromètre sur les usages du livre numérique, février 2014.
Dragana Trgovčević, La narration interactive, ENSCI - Les Ateliers, juin 2011.
Webographie
BnF, Rubrique classes, dossier pédagogique sur L'aventure du livre, 2011, http://classes.bnf.fr, consulté en Septembre 2014.
Rubrique classes, dossier pédagogique sur L'aventure des écritures, 2002, http://classes.bnf.fr, consulté en Septembre 2014.
blog@rchampourlier, Romain CHAMPOURLIER, Regards sur la chaîne de valeur du livre numérique, mai 2011, www.rchampourlier.com, consulté en novembre 2014.
Portail CNRTL, CNRS, Lexicographie des mots lecture et narration, www.cnrtl.fr
Paristechreview, Christophe DESHAYES et Jean-Baptiste STUCHLIK, Any to oneself : l’essor des technologies réflexives, janvier 2015, www.paristechreview.com, consulté en janvier 2015.
La Feuille, Hubert GUILLAUD, Les supports du livre numérique, Mars 2010, lafeuille.blog.lemonde.fr, consulté en juillet 2014.
Optimiser sa vitesse de lecture, Mars 2014, lafeuille.blog.lemonde.fr, consulté en août 2014.
Projet Gutenberg, www.gutenberg.org
Alexis JAILLET, Lecture numérique : Précisions sur le vocabulaire, mars 2010, www.ebouquin.fr, consulté en septembre 2014.
Alexis KLEINMAN, You Could Soon Read An Entire Harry Potter Book In Under 90 Minutes With This App., www.huffingtonpost.com, consulté en Novembre 2014.
Archives, Etienne MINEUR, Ré-enchanter la lecture numérique, Novembre 2012, www.my-os.net/archives, consulté en septembre 2014.
Libération, rubrique Culture, Frédérique ROUSSEL, Livre numérique : l’édition européenne se serre les coudes, octobre 2014, www.liberation.fr, consulté en octobre 2014.
Startup Spritz, www.spritzinc.com
Techn2innovate, société innovante dans le domaine des technologies numériques, www.tech2innovate.com
Vidéos, sonores et webdocumentaires.
François BUSNEL pour France Inter, Le grand entretien : Stanislas Dehaene, [Emission de radio], 22 février 2012, durée 52min19, www.franceinter.fr, consulté en septembre 2014.
John BRANCH pour le New York Times, Snowfall, [Scrollitelling], 2012, www.nytimes.com
Le Collectif d'Orange, 60 secondes pour comprendre le transmédia, [vidéo], 2012, http://lecollectif.orange.fr
David DUFRESNE et Philippe BRAULT, Prison valley, [webdocumentaire], Arte , 2010, http://prisonvalley.arte.tv
Jon HENLEY pour The Guardian, Firestorm, [Scrollitelling], 2013, www.theguardian.com
IDEO, Future of the Book, [vidéo], 2010, www.ideo.com
David PALIWODA et Jesse WILLIAMS, Distance to Mars, [Scrollitelling], 2013, http://distancetomars.com
Evenementielles.
Organisée par le Cluster du Quartier de la Création et l'Université de Nantes, Améliorer nos vies avec les technologies réflexives?, conférence tenue à Nantes, le 15 juin 2014, www.creationduquartier.com
Sous la direction de Stanislas DEHAENE, C3RV34U, L’Expo Neuroludique, cat. Exp., Paris, Cité des Sciences et de l’Industrie, 2014.
Merci !
A l'ensemble des enseignants de l'Ecole de Design de Nantes Atlantique qui depuis 5 ans m'ont formée et ont enrichi ma vision du design. Plus particulièrement à Matthias RISCHEWSKI, Grégoire CLIQUET, Laurent NEYSSENSAS et Arnaud LE ROI qui m'ont encadrée et guidée tout au long de ce projet.
A Emma PAULAY qui m'a accompagnée et orientée dans l'écriture de ce mémoire.
A toutes les personnes que j'ai rencontrées et questionnées. Notamment à Guénaël BOUTOUILLET, mon tuteur, qui m'a conseillée et encouragée dans ma réflexion. Mais aussi à Jiminy PANOZ, Benjamin HOGUET et Delphine MARCHAND pour leur écoute, leur temps et leurs conseils.
Sans oublier, à ma famille et mes amis qui, de près ou de loin, ont été essentiels.